La bataille contre le bisphénol A se poursuit. Un an après l'Assemblée nationale, leSénat examine, mardi 9 octobre, une proposition de loi socialiste qui veut bannird'ici à 2015 ce composant chimique très répandu dans les contenants alimentaires.
- Qu'est-ce que le bisphénol A ?
Le bisphénol A (BPA) est un produit de synthèse largement utilisé dans la fabrication des plastiques depuis la fin des années 1950. Son marché mondial est estimé à 3,8 millions de tonnes produites par an.
On trouve ce mélange de phénol et d'acétone dans une multitude de secteurs : il entre notamment dans la composition de plastiques très résistants de type polycarbonate, qui servent à la fabrication de bombonnes et bouteilles d'eau réutilisables. On en trouve également dans les résines époxydes, ou vernis, qui tapissent l'intérieur des boîtes de conserve en métal, des canettes de boisson, des couvercles de bocaux ou des capsules de bouteilles. Selon l'agence de l'alimentation (Anses), on trouve encore en France du BPA dans certains jouets et articles de puériculture, voire dans les tickets de caisse des supermarchés et possiblement le matériel médical.
- Pourquoi pourrait-il être interdit dans les contenants alimentaires ?
Le BPA, qui a tendance à migrer dans la nourriture et les boissons, est considéré comme un perturbateur endocrinien, c'est-à-dire une substance interférant avec le système hormonal et capable de produire des effets nocifs à très faibles doses sur l'organisme.
Depuis les années 1990, ses effets ont été prouvés sur les animaux puis sur les hommes dans de très nombreuses études scientifiques. "Des tendancesrécentes de maladies humaines peuvent être mises en relation avec les effets indésirables des faibles doses de BPA observés sur l'animal : par exemple, l'augmentation des cancers du sein et de la prostate, les malformations uro-génitales chez les garçons, le déclin de la fertilité, l'avancement de la puberté chez les filles, les désordres métaboliques comme le diabète de type 2 et l'obésité, de même que des problèmes comportementaux comme le déficit d'attention et l'hyperactivité", écrivent en 2006 près de quarante chercheurs internationaux dans un rapport publié dans la revue Reproductive Toxicology.
Lire l'enquête du Monde : Bisphénol A, les dessous d'un scandale sanitaire
Un avis partagé par l'Anses, qui assurait en septembre 2011 disposer de"suffisamment d'éléments scientifiques" pour "agir dans une logique de prévention" et remplacer le bisphénol partout où on peut le faire. Son objectif prioritaire étant de limiter l'exposition des femmes enceintes et allaitantes ainsi que des jeunes enfants. Depuis, sur la base des travaux disponibles, l'Anses a demandé à l'Europe de classer le BPA comme "toxique pour la reproduction" et non plus "suspecté" de l'être. La suspension de la commercialisation des biberons au BPA, en vigueur en France depuis juillet 2010, a par ailleurs été étendue à toute l'Union européenne en janvier 2011 par une directive européenne.
Lire : Même à faible dose, le bisphénol A constitue un danger pour l'homme (édition Abonnés)
Mais les effets du bisphénol A ne s'arrêtent pas aux jeunes enfants. C'est ainsi l'ensemble de la population qui est exposée. Selon une étude publiée en 2005 dans Environmental Health Perspectives, le BPA est présent dans les urines de 95 % de la population occidentale. Et ses effets pourraient être transmis sur plusieurs générations. Une étude parue en juin dans la revue Endocrinology avait ainsi prouvé que les rongeurs exposés in utero au BPA présentent plus tard dans leur vie des troubles comportementaux qu'ils transmettent à leur descendance, quand bien même celle-ci n'a pas été exposée.
Lire : Les effets du bisphénol A sont transgénérationnels
- Quel est le calendrier pour l'application de la proposition de loi socialiste ?
La proposition de loi socialiste prévoyant une suspension de la fabrication, l'importation et l'exportation des contenants alimentaires produits avec du bisphénol A, qui avait reçu le soutien du gouvernement de François Fillon, avait été adoptée à l'unanimité le 12 octobre 2011 par les députés. Néanmoins, elle n'avait pas été ensuite inscrite aux travaux du Sénat lors de la précédente législature.
Lire : Les députés votent l'interdiction du bisphénol A dans les emballages alimentaires
Mercredi, la commission des affaires sociales du Sénat a modifié le texte en repoussant de 2014 à 2015 l'interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires. Toutefois, la commission a maintenu à 2013 cette interdiction pour les contenants de produits destinés aux enfants de moins de 3 ans. Pour expliquerce report, la commission sénatoriale a précisé être "consciente des difficultés que cette application du principe de précaution peut entraîner pour les industriels". Mardi 9 octobre, les sénateurs doivent donc voter le texte, avant qu'il ne soit transmis à l'Assemblée en deuxième lecture.
- Comment le bisphénol A peut-il être remplacé ?
Pour les industriels, ce calendrier s'avère "incompatible avec la réalité industrielle", qui exige de très nombreux essais et contrôles avant la mise sur le marché de nouveaux produits de substitution. "Si c'est appliqué et voté en l'état, on sera obligé purement et simplement d'arrêter nos activités", lance Olivier Draullette, délégué général du SNFBM, le syndicat des fabricants de boîtes et emballages métalliques. "On ne traîne pas (...) On travaille, mais ce qu'on demande, c'est le droit de faire notre travail consciencieusement", poursuit-il. Compte tenu des volumes considérables en jeu, les industriels de l'emballage métallique insistent sur les "contraintes de sécurité très fortes".
La situation est complexe puisque les industriels de l'emballage métallique ont identifié quatre familles de résines pouvant être substituées à l'actuelle résine au bisphénol A. Chacune doit être testée en fonction de la denrée alimentaire avec laquelle elle sera en contact : "on est obligé d'avoir un minimum de recul" compte tenu du "spectre alimentaire français qui est très large et des dates limites deconsommation qui sont très longues", selon le SNFBM.
La tonalité est très voisine dans l'industrie agro-alimentaire qui utilise ces emballages. "Notre grande inquiétude, c'est de commercialiser un produit sur lequel on a moins de recul que ceux qui sont utilisés, et pourrait être moins sûr que les produits actuels", explique Jean-René Buisson, le président de l'Association nationale des industries alimentaires.
"A force de traîner les pieds et de faire de la résistance, les industriels français vont prendre du retard sur les entreprises étrangères, notamment américaines, qui proposent déjà des produits garantis sans BPA", estime le député socialiste Gérard Bapt, à l'origine de la proposition de loi, dans Le Parisien. Et le quotidien deciter des exemples : aux Etats-Unis, une marque bio de luxe commercialise ainsi des boîtes en acier tapissées à l'intérieur d'une résine naturelle. En France, la société Tupperware a aussi pris les devants en remplaçant tous ses produits conçus à base de polycarbonate par des produits en polyester thermoplastique garantis sans BPA.